Le prix littéraire « Naissance d’une œuvre » a été décerné à Laurent Seyer pour son quatrième roman, J’ai pas les mots, publié aux Éditions Finitude. La remise du prix a eu lieu le mercredi 21 mai, à l’Armancette (Saint-Nicolas de Véroce, Saint-Gervais), face au Mont-Blanc, en présence du président du jury, Nicolas de Tavernost.

Le lauréat Laurent Seyer entouré du jury présidé par Nicolas de Tavernost. Photo Pascal Viénot.
Pour sa quatrième édition, ce prix qui encourage un écrivain ayant publié au moins quatre romans a distingué un livre qui traite d’un sujet dur avec subtilité et humour.
Le sujet est difficile et son exploration littéraire aurait pu être lourde, presque étouffante pour le lecteur. Il n’en est rien, au contraire, Laurent Seyer a écrit avec une finesse rare un roman traitant de l’autisme sévère. C’est cette sensibilité humaine et une créativité de style que vient de récompenser le prix Naissance d’une œuvre.
Passé de la finance à la littérature, Laurent Seyer signe un quatrième roman tout en subtilité et délicatesse. Le héros de J’ai pas les mots(Éditions Finitude) est enfermé, cloîtré dans son crâne et son corps. Jeune garçon de 17 ans, Jeremy est un autiste sévère. Il ne peut communiquer ce qu’il pense et ressent. Pourtant, il voit tout, sent tout. Pensées et émotions se bousculent dans son cerveau bancal mais personne ne peut en prendre la mesure. « Il y a quelque chose d’un peu miraculeux dans ce roman qui donne la parole à un personnage qui ne parle pas, écrivait Astrid de Larminat dans le Figaro Littéraire à la sortie du livre, Laurent Seyer met en scène la vie quotidienne et la condition tragique de son personnage-narrateur avec une justesse et une liberté de ton, une tendresse et un sens comique irrésistibles ». La vision du monde de Jeremy, assurément, ébranle la nôtre.
Le personnage de Jeremy est inspiré par le fils d’un ami de l’écrivain. « Ce n’est pas une histoire d’origine familiale, mais j’ai toujours eu de l’affection pour les personnes un peu différentes » confie Laurent Seyer, qui était engagé dans une association s’occupant d’enfants trisomiques dans sa jeunesse. « Il y a un côté déséquilibré, hors des conventions sociales, une spontanéité, une manière d’exprimer ses sentiments de manière non filtrée, une part de mystère aussi, auxquelles je suis sensible » poursuit-il. Dans son roman, l’auteur montre combien l’autiste peut souffrir de ne pas être compris. « Ils ont une compréhension du monde qui n’est pas la même que la nôtre, dit-il, mais parce qu’ils ne peuvent l’exprimer et qu’ils ne sont pas dans l’interaction, les autres supposent à tort qu’ils n‘ont pas de vie intérieure ».
Une langue propre
L’auteur s’est nourri des anecdotes racontées par ses amis. Puis, il a vérifié si tout ce qu’il écrivait était plausible, rencontrant psychiatres, éducateurs, neurologues… Son tour de force littéraire est d’avoir inventé une langue propre à ce texte. « Il fallait que Jeremy ait sa propre langue, à la fois compréhensible et réaliste, il fallait que cela soit sa voix, qui traduise ce que j’avais compris de son for intérieur ». Pour se baigner dans l’invention langagière, Seyer a relu Rabelais, Faulkner, Ajar. Les phrases courtes, les termes répétés traduisent cette voix tandis que la ponctuation a naturellement disparu.
Le prix Naissance d’une œuvre, dont c’est la quatrième édition, récompense un 4e, un 5e ou un 6e roman. « Ce prix a une singularité dans le paysage littéraire car il ne couronne pas un roman isolé mais a pour ambition d’accompagner la construction d’une œuvre romanesque »explique Laurence Viénot, cette passionnée de littérature qui est à l’origine du prix et qui anime aussi un salon littéraire parisien. Le prix a pour but d’aider un auteur à passer un cap parfois difficile dans son parcours, quand la fièvre des commencements est passée et qu’il faut tenir sur la durée. Le prix a été précédemment décerné à Michel Jullien (2022), à Gilles Marchand (2023), à Laurent Binet et Nicolas Le Nen (ex-aequo 2024).
Le jury est composé de lecteurs indépendants comme Claudine Ripert-Landler, ancienne conseillère à l’Élysée, Catriona Seth, titulaire de la chaire de littérature française à Oxford, Michèle Gazier, ancienne critique littéraire et écrivaine ou encore Patrice Hoffmann, ancien directeur littéraire de Flammarion. Et cette année, Nicolas de Tavernost en a pris la présidence, assurée auparavant par Sylvain Fort. « Cette expérience de jury littéraire m’intéresse beaucoup, confie Nicolas de Tavernost, je réalise la difficulté du métier d’éditeur, tant il est difficile de choisir, de faire la part de ses goûts personnels et de ceux supposés du public, d’imaginer si tel ou tel livre marchera fort ou pas. C’est un métier d’intuition… » Celui qui se définit comme un béotien en la matière note d’ailleurs que, dans un jury composé de gens avertis, les avis sur un livre peuvent être très différents, voire radicalement opposés. « Cela montre qu’il n’y a pas de vérité absolue en littérature… » Fort de son œil d’homme de télévision et de cinéma, il ne peut s’empêcher d’imaginer à chaque fois si le livre pourrait être adapté à l’écran.
Le soutien aux auteurs est solide avec une dotation de 20 000 euros. Avec son associé Ingmar Vallano, Vincent Gombault, gestionnaire de fonds d’investissement installé au Royaume-Uni, est le co-mécène du prix. Ce dernier tient à ce que ce prix soit remis dans ses montagnes, à l’Armancette, au centre du village de Saint-Nicolas de Véroce, face au Mont-Blanc.
Pour Laurent Seyer, « ce prix n’est pas un point d’arrivée mais un point de départ. Il est un encouragement à produire une œuvre pleine et cohérente. » L’auteur fait mentir son titre. Il a trouvé les mots.